Les missions de Théo
Théo parle. Flot confus de paroles. Par moments son père
essaie de l’interrompre pour l’interroger, y voir un peu plus clair dans toutes
ces histoires plus invraisemblables les unes que les autres. Théo s’est laissé
prendre à un jeu qui, au début, l’a amusé: messages à retrouver dans des jeux
de piste de plus en plus complexes, messages à transmettre sur le site web où
il s’est inscrit, messages à déposer dans des boîtes aux lettres d’habitations
de la région, messages à cacher dans des endroits invraisemblables — rochers de
la forêt, arbres creux, fissure dans des murs, statues du parc du château, pare-brise
de voitures, sièges de trains de banlieue, squats, maisons abandonnées, ruines,
buissons…— peu à peu, tout lieu, tout espace, tout objet, devenait pour lui une
cache possible, prenait une valeur autre s’intégrant dans un univers de mystère
et de jeu transformant sa vie, le rendant prisonnier d’un univers virtuel où il
ne savait plus ni ce qu’il faisait ni pourquoi, ni pour qui, il le faisait.
Puis les messages se sont transformés en paquets qu’il lui était interdit
d’ouvrir, qu’il devait déposer ici ou là sans ne jamais voir personne car il
lui était interdit de tenter de découvrir celui, celle, ceux qui venaient par
la suite en prendre livraison. Les messages — les objets…— qu’il transmettait
arrivaient également chez lui de façon étrange : il les trouvait fixés au
cadre de son vélo à la sortie du lycée, dans son blouson quitté au vestiaire de
la salle de sport, dans son casier à la piscine… parfois même tout simplement
par la poste, sur le site où les messages qui lui étaient destinés étaient
signé Kitsi, son nom de code, ou par des mails apparemment anodins mais dont il
ne pouvait être que le seul à comprendre la signification.
Peu à peu le jeu est devenu trop sérieux, Théo a décidé
d’abandonner. Il ne voyait plus l’intérêt de se laisser ainsi manipuler comme
une marionnette sans aucune vision globale de ses actes. Quelqu’un tirait des
ficelles dont il ne voyait pas où elles menaient, il n’était qu’un pion et ça
lui déplaisait. Il n’a pas obéi à un message, jetant à la poubelle une
enveloppe qu’il avait à déposer dans un objet précis exposé à la salle des
ventes. Le lendemain les pneus de son vélo étaient lacérés et il reçut un mail
lui recommandant la lecture d’un roman interactif et génératif intitulé Trajectoires
et dont lui était donnée l’adresse Internet. Lorsqu’il utilisa cette adresse,
elle s’ouvrit sur la page suivante:
«Date : thurs 03 august … 08:00:00 + 0002
From : outis@niemand-online.pt
To : Kitsi@gatinais.com
Subject : je te retrouverai n'importe où.
Tes fautes vont être connues de tous, Kitsi, la fuite n'a jamais raison de la mort. Crains le vingt-quatre, hier est l'ombre de demain; je n'aurai pas pitié inutile de fuir. Le temps rattrape toujours ceux qu'il poursuit. Tu vas vivre dans une panique tenace: ta famille ne te sera d’aucun secours... Ça aura lieu! Ressentiment et aversion: les disparus ne cesseront jamais de t'accompagner! Hier est l'ombre de demain: rien ne s'efface.
Outis»
La menace était des plus claires.