Ce que Jack Cline et la jeune chinoise disent
La fin du suspens est l’avenir du roman: Jake Cline est entré
dans l’appartement de la jeune chinoise. Ils sont allés dans un salon
quelconque d’un appartement quelconque: une table basse vaguement chinoise si
l’on en juge par les pieds et la laque protégée par une plaque de verre, sur le
mur de droite en entrant, trois kakémono portant des calligraphies et l’éternel
paysage de montagnes, chinoises, dans une brume, chinoise elle-aussi, avec un
arbre, chinois encore parce qu’il semble aussi peu naturel qu’un bonzaï. Mais
c’est normal, c’est une peinture. Le mur de gauche porte cinq éventails déployés,
inscriptions et fleurs, comme il se doit… Entre les deux une baie vitrée
donnant sur le jardin de la cité. En ce moment, les fenêtres sont fermées et un
climatiseur ronronne, tranquille. Devant le mur de gauche, un canapé de cuir
noir. Il semble aussi inconfortable que tous les canapés de cuir noir, pourtant
trois personnages y sont assis: une vieille dame, un vieil homme et, entre les
deux, un adolescent, tous aussi chinois que possible. Du moins c’est ce que le
lecteur doit imaginer. Jake Cline s’assied sur un espèce de pouf en face d’eux;
la table basse les sépare. La jeune chinoise s’assied par terre sur un des
côtes latéraux de la table. Ils parlent. Chinois. Si le lecteur comprend le
chinois de la région de Canton, il excusera l’auteur de ne pas rapporter le
texte original et d’avoir choisi la version française. Ce qu’il perdra en
musicalité et poésie sera peut-être compensé par ce qui sera gagné en
compréhension. Discussion, version française:
Jake (qui parle aussi chinois): Ça va ? La vieille
dame (vois un peu haut perchée, grand sourire mais un peu souffreteux): ça va…
enfin, on fait aller, ce n’est pas toujours facile… et toi ? Jake: moi, ça
va, je me débrouille. Le vieil homme (sourire, regarde Jake dans les yeux): tu
en es sûr ? Tu n’as pas de problème, Fleur de prune (c’est la traduction
française du nom chinois de la jeune chinoise) nous a dit que la police était
allé voir l’oncle Ho et qu’un policier en civil l’avait suivie jusqu’au parc. Jake
(plissant les lèvres pour produire une mou étonnée): c’est possible, il y a eu
un petit problème avec un jeune con qui n’a rien compris mais… c’est réglé…
Vieux chinois, insistant: tu es sûr ? Jake: sûr… Vieux chinois (insistant
encore comme peut insister un chinois, avec fermeté mais politesse):
espérons-le parce que nous n’avons pas besoin que quelqu’un vienne se mêler de
nos affaires, c’est trop dangereux. Jake: ne t’inquiète pas mon oncle, j’ai
fait ce qu’il fallait… La vieille chinoise (ton très aimable, léger soupir):
j’aimerais tant que ton père soit encore en vie, il serait fier de toi… et ta
mère… Jake (songeur, un peu hésitant): j’aurais bien aimé les connaître aussi
mais… ils ont disparu trop tôt… La jeune chinoise (qui jusque là n’a rien dite,
voix fluette, un peu chantante): c’est vrai qu’on n’a jamais su ce qu’ils sont
devenus ? Vieux chinois: on te l’a dit cent fois, ma sœur a épousé Ronald,
ils ont eu un garçon. Un jour, Jake avait deux ans, ils sont venus à la maison,
Ronald m’a dit qu’il avait des problèmes et qu’ils devaient se cacher quelques
temps à l’étranger. Ils nous ont laissé Jake: nous ne les avons jamais revus et
ils ne nous ont jamais donné aucune nouvelle. C’est pour ça que nous avons
élevé ton cousin comme notre fils. Jeune chinoise (un peu excédée): ça, je le
sais, mais j’ai toujours eu l’impression que vous cachiez quelque chose, qu’il
y a des choses dont vous ne voulez par parler. La vieille chinoise
(bienveillante, protectrice…): ne te mets pas ces idées en tête, nous ne savons
rien de plus. Le vieux chinois, insistant: rien de plus, c’est vrai. Jake (ton
ferme, assuré): il faudra quand même bien que je découvre ce qui s’est passé.