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Une histoire sans fin
Une histoire sans fin
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29 mai 2011

Autre incise méditative

Personne n’ayant ni la compténce ni la capacité d’occuper la position du seul dieu possible, celui du hasard, il ne reste, au point où le narrateur en est arrivé, qu’à choisir la moins mauvaise des solutions possibles pour ce récit dans lequel il s’est imprudemment engagé.

Car aucune vie ne chevauche une flèche, toute vie, au contraire est comme la feuille morte emportée au grè des vents changeants, souvent même contraires. Leurs trajectoires ne sont que des suites de bifurcations surprenantes, imprévisibles où ni le bonheur ni le malheur, ni le désir ni la décision, ni l’amour ni la haine, ne peuvent trouver leur part. Les événements sont comme ils sont définissant à chaque instant des infinités de mondes possibles que nul n’est capable de réellement choisir. Les vivants — les morts eux-mêmes, dont l’histoire semble pourtant définitivement écrite — se trouvent emportés de-ci, de-là, se rencontrant parfois, faisant des instants de route ensemble, se séparant, se retrouvant, s’éloignant, se rapprochant sans que dans tous les chocs de ces mouvements browniens que l’on appelle la vie, ils ne puissent, à un moment quelconque, et ce même si certains parfois croient en avoir le pouvoir, influer en quelque façon que ce soit sur les déplacements qu’ils vont avoir à subir.

Parce que ses personnages peuvent, à tout moment, entrer dans de nouvelles péripéties, impossible donc de décider si un roman doit avoir une fin ou si la fin imaginée est une fin réelle. Tout, à tout moment, peut encore advenir. Tout, à tout moment, peut encore être autre. Tout, à tout moment, peut encore changer. Écrire est ainsi une imposture car l’écriture donne à celui qui la pratique, l’impression qu’il est maître de ces petits mondes qu’il se donne comme finalités. Pire encore, elle donne à celui (à ceux…) que l’auteur prend en otage, l’illusion de la nécessité : Théo ne pouvait que rencontrer Évelyne, et Évelyne ne pouvait que succomber au désir de le dépuceler ; Albertine Mollet ne pouvait que mener une enquête parallèle à celle d’Albertine Schwilk de même que Jake Cline ne pouvait qu’être le fils de cet aviateur avec lequel, dans l’euphorie de la résistance, la mère d’Emma Gaillardon n’avait pu que coucher… Une fois écrites, paroles closes, lignes figées par la glaciation du texte, rien ne peut plus devenir autre. Et pourtant… Les mondes possibles sont comme un enchevêtrement aléatoire de fils où tout est susceptible, à un moment ou à un autre de se recouper, de sembler s’éloigner infiniment pour — ou pour ne pas — se recouper à nouveau de façon totalement inattendue.

Ainsi ne serait-il pas plus simple de faire assassiner Jake Cline par le mystérieux homme au fusil, ou même Théo Cottard et, pourquoi pas Jérôme Cottard ou même Albertine Mollet ? Toute clôture est une trahison des possibles. Écrire les possibles des mondes implique de ne jamais s’arrêter.

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