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Une histoire sans fin

Une histoire sans fin
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30 août 2012

Fin du roman

Les fins de roman, surtout lorsqu’ils se prétendent policier (mais tous, sur ce point, le sont plus ou moins) obéissent à une tradition : celle du phénomène stylistique de la clôture. Une fin doit donner au lecteur la satisfaction d’avoir bouclé une histoire et même si cette satisfaction est difficile à définir elle n’en existe pas moins dans le rapport que le lecteur entretient avec sa lecture. Ainsi, si un roman raconte une histoire d’amour, la fin ne présente que peu de solutions possibles : l’histoire d’amour se termine positivement et le lecteur admet alors qu’il ne devrait plus rien « se passer » sur ce plan : mariqge ou vie commune ; la fin est tragique : séparation, meurtre, mort de l’un ou l’autre, suicide… ; la fin est annonce d’un autre roman possible : les amants se séparent mais le lecteur sent que leur histoire peut rebondir.

Ainsi, chacun des personnages qui a joué un rôle important dans un récit, attend sa fin, ce qui complique la tâche du romancier car plus il crée de personnages plus il doit fournir de clôtures plausibles, c’est-à-dire possible dans le monde possible de son écrit en cours.

C’est une tradition. Rien, sinon la paresse de la lecture, ce que Gertude Stein appelle « le réconfort » du roman, n’oblige à la respecter. Un récit n’a pas à être inscrit tout entier dans son achèvement. Et plus le roman est réaliste, contrairement à la tradition de quelques siècles d’écriture, moins il devrait tenir cet objectif car la vie est imprévisible, aléatoire, largement chaotique et les personnages qui se croisent ou se rencontrent suivent des trajectoires variées qui s’achèvent rarement dans un même mouvement. De fait les romans ne sont jamais réalistes. Ce seul point le prouve à l’évidence. Alors, pourquoi devraient-ils feindre de l’être ? Le besoin de lecture, le plaisir de lecture, reposent sur des bases plus fondamentales et fondatrices. La parole en est une, le langage dans la parole, ce besoin d’être dans sa langue, de la voir tourner, créer sans cesse, se fonder en permanence et se fondant, nous fonder. La lecture est, avant tout, un infini potlach, ce que l'auteur donne au lecteur lui est restitué par le lecteur dans le réemploi, la recherche infinie de ce plaisir, sinon abstrait et absurde, de la lecture. Lire c’est, d’une façon certaine, vivre sa langue et la vivant, la faire vivre.  Nul besoin de clôture pour cela, nul besoin d’histoire non plus — si ce n’est que la paresse intellectuelle a besoin d’appâts. Le romancier n’est qu’un pêcheur à la ligne qui attire le lecteur dans ses filets. Peu importe qu’ensuite il le remette à l’eau ou le consomme, le plaisir est dans la prise.

Ce roman donc ne s’achève que parce que, après cette page, il n’y en aura pas d’autre. Mais leur lecture, avec leurs points d’entrée multiples, peut en être infinie.

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11 septembre 2011

Gilbert de Clérences fait du nettoyage

Il a monté les étages le plus discrètement possible, est arrivé devant la porte de l’appartement où Jake Cline discute avec sa famille chinoise, a vérifié sur une feuille de papier qu’il ne s’est pas trompé : c’est bien le bon étage, la bonne porte même si elle ne porte aucun nom. Il est silencieux, respire à peine, écoute. À l’intérieur, des voix : hommes, femmes… Il écoute attentivement, colle son oreille droite à la porte : pas de doute, deux hommes, deux femmes. Il ne s’attendait pas à ce qu’il y ait tant de monde. Sa mission ne lui fixait que deux cibles, deux hommes, un jeune de type occidental, un vieux chinois. De la poche intérieure de sa veste, il sort un plan et deux photos. Il ne sait pas que le jeune s’appelle Jake Cline, ni que le vieux se fait appeler oncle Ho ; il n’en a rien à faire et moins il en sait, mieux ça vaut. Il examine la porte, constate qu’elle n’est fermée que par une serrure ordinaire et un petit verrou de sûreté. D’après le plan, il estime que les voix proviennent du salon qui se trouve au bout d’un petit couloir. Avec une prudence féline, il fait jouer la poignée de la porte de façon à ce que celle-ci soit à peine ouverte. Il sort de son sac son automatique 9 mm Kimar PK4, fixe un silencieux, ferme les yeux, respire profondément, secoue latéralement ses bras pour préparer ses muscles puis d’un coup d’épaule ouvre brutalement la porte qui claque sur le mur, traverse le couloir en trombe. Les occupants de l’appartement, comme stupéfaits par le vacarme de la porte n’ont eu aucune réaction. Ils sont assis autour d’une table sur laquelle se trouve une théière rouge et des petits bols à thé de la même couleur. Gilbert de Clérences n’hésite pas une seconde, il tire, abat le vieil homme d’une balle entre les deux yeux, puis Jake Cline avant qu’il ait fini de se lever. Les femmes hurlent. Il hésite à peine, abat la vieille femme qui essayait de s’enfuir dans le couloir. La jeune ne peut pas s’enfuir, assise du côté de la fenêtre, elle est paralysée de frayeur, hurle. Pas de sentiments, pas de temps à perdre, pas de risques inutiles, il l’abat à son tour. Le massacre n’a duré que quelques secondes, bien qu’habitué à la fragilité humaine, Gilbert de Clérences ne peut s’empêcher de pense que la vie, ce phénomène si complexe, si riche de possibilités, est tout de même peu de choses. Il range son arme dans son sac, repart, s’étonne que les cris des femmes n’aient pas alerté des voisins puis pense que, dans ce quartier populaire chacun reste chez soi et prend bien soin de ne pas se soucier des autres. Il enlève la clef qui était du côté intérieur de la porte, ferme soigneusement à clef, descend par les escaliers. Dehors le soleil est éblouissant, de nombreux enfants crient et jouent dans le square, une multitude de pigeons volent, se posent, s’envolent, se reposent: tout continue. Il jette la clef dans une des poubelles publiques.

Quelques centaines de mètres plus loin, il prend un taxi : — Aéroport Charles de Gaule, terminal 2C. Le taxi démarre…

25 juin 2011

Une mauvaise fin

Combien d’écrivains ont-ils conçus leurs romans sur le thème central des incertitudes de l’existence, sur celui du hasard qui, d’une seconde à l’autre, modifie les trajectoires les plus certaines d’elles-mêmes rendant des plus aléatoires toute anticipation d’une vie? L’homme est un déchet balloté sur un océan furieux…

Albertine Mollet, Evelyne Puget, les agents Bergotte et Morelet sont dans une voiture de police qui fonce toute sirène hurlante. Un hold-up vient d’avoir eu lieu dans une épicerie des faubourgs de la ville. L’épicier — mal avisé — a résisté et, semble-t-il, aurait été tué. Un passant, assistant de l’extérieur du magasin à la scène, vient de prévenir la police, Santeuil et Winterhalter sont partis, avec un autre véhicule sur la scène de crime. La voiture des agresseurs, une Ford Capri jaune vif (une telle imbécillité de la part des criminels ne peut avoir été inventée) est partie sur le boulevard périphérique de Fontainebleau, semble-t-il en direction de l’obélisque qui marque une des sorties de la ville. La voiture de la commissaire a coupé à travers la ville pour les intercepter. A l’intérieur du véhicule, l’excitation est à son comble, chaque policier vit ce dont il a toujours rêvé, la scène du shériff poursuivant et interceptant le méchant desperado dangereux car n’ayant plus rien à perdre. Situation tout de même un peu plus excitante que la rédaction de procès-verbaux sur passeports perdus ou des chiens empoisonnés. La voiture fonce. Les passants s’écartent, les voitures se rangent, les cyclistes montent sur les trottoirs, les pneus crissent. Ses sirènes déchire l’espace de la ville. La voiture de police débouche sur le boulevard. Ils sont là hurle Bergotte montrant une voiture jaune, ils viennent juste de passer. Foncez, foncez, ordonne la commissaire Mollet tout en manipulant la radio pour appeler la gendarmerie et leur indiquer vers où ils se dirigent, on vous tient au courant dit-elle, ajoutant à l’attention des autres occupants du véhicule, ils envoient des motards pour essayer de les intercepter. Foncez, foncez. La voiture jaune a repéré le véhicule de police, elle accélère, franchit en trombe un carrefour manquant de peu de heurter une voiture qui venait sur sa droite, roule à toute allure sur la nationale qui traverse la forêt. La voiture blanche et noire des policiers accélère elle aussi, les fuyards tournent brutalement sur leur droite dans une route forestière brisant la demi-barrière qui en interdisait l’entrée. Les salauds, ils connaissent bien la région, fait remarquer Evelyne Puget, ils savent que cette route est goudronnée sur toute sa longueur et débouche vers Achères-la-forêt. La commissaire appelle les gendarmes : ils ont pris la route forestière de la Haute-Borne, essayez de les intercepter à la sortie vers Achères… La routes est étroite, pleine de nids de poule, les policiers sont ballotés en tous sens mais la voiture jaune ne ralentit pas. Ce mec sait conduire dit Bergotte qui a du mal à les suivre. Pas de panique, on les aura, dit la commissaire. Des branches fouettent le véhicule. Dans une série de virages étroits, la voiture jaune prend de la distance. Foncez, foncez dit Albertine. La voiture jaune brise la barrière de sortie, tourne brutalement à gauche sur une départementale. Les policiers foncent, suivent, débouchent sur la route. Surgit un énorme semi-remorque, impossible à éviter. La voiture de police s’y encastre.

Le lendemain, le journal local titre en pleine page : "Le commissariat de Fontainebleau décapité".

29 mai 2011

Autre incise méditative

Personne n’ayant ni la compténce ni la capacité d’occuper la position du seul dieu possible, celui du hasard, il ne reste, au point où le narrateur en est arrivé, qu’à choisir la moins mauvaise des solutions possibles pour ce récit dans lequel il s’est imprudemment engagé.

Car aucune vie ne chevauche une flèche, toute vie, au contraire est comme la feuille morte emportée au grè des vents changeants, souvent même contraires. Leurs trajectoires ne sont que des suites de bifurcations surprenantes, imprévisibles où ni le bonheur ni le malheur, ni le désir ni la décision, ni l’amour ni la haine, ne peuvent trouver leur part. Les événements sont comme ils sont définissant à chaque instant des infinités de mondes possibles que nul n’est capable de réellement choisir. Les vivants — les morts eux-mêmes, dont l’histoire semble pourtant définitivement écrite — se trouvent emportés de-ci, de-là, se rencontrant parfois, faisant des instants de route ensemble, se séparant, se retrouvant, s’éloignant, se rapprochant sans que dans tous les chocs de ces mouvements browniens que l’on appelle la vie, ils ne puissent, à un moment quelconque, et ce même si certains parfois croient en avoir le pouvoir, influer en quelque façon que ce soit sur les déplacements qu’ils vont avoir à subir.

Parce que ses personnages peuvent, à tout moment, entrer dans de nouvelles péripéties, impossible donc de décider si un roman doit avoir une fin ou si la fin imaginée est une fin réelle. Tout, à tout moment, peut encore advenir. Tout, à tout moment, peut encore être autre. Tout, à tout moment, peut encore changer. Écrire est ainsi une imposture car l’écriture donne à celui qui la pratique, l’impression qu’il est maître de ces petits mondes qu’il se donne comme finalités. Pire encore, elle donne à celui (à ceux…) que l’auteur prend en otage, l’illusion de la nécessité : Théo ne pouvait que rencontrer Évelyne, et Évelyne ne pouvait que succomber au désir de le dépuceler ; Albertine Mollet ne pouvait que mener une enquête parallèle à celle d’Albertine Schwilk de même que Jake Cline ne pouvait qu’être le fils de cet aviateur avec lequel, dans l’euphorie de la résistance, la mère d’Emma Gaillardon n’avait pu que coucher… Une fois écrites, paroles closes, lignes figées par la glaciation du texte, rien ne peut plus devenir autre. Et pourtant… Les mondes possibles sont comme un enchevêtrement aléatoire de fils où tout est susceptible, à un moment ou à un autre de se recouper, de sembler s’éloigner infiniment pour — ou pour ne pas — se recouper à nouveau de façon totalement inattendue.

Ainsi ne serait-il pas plus simple de faire assassiner Jake Cline par le mystérieux homme au fusil, ou même Théo Cottard et, pourquoi pas Jérôme Cottard ou même Albertine Mollet ? Toute clôture est une trahison des possibles. Écrire les possibles des mondes implique de ne jamais s’arrêter.

21 février 2011

Théo Cottard sort à son tour de la partie

Évelyne, dans le couloir, a tout entendu du récit de Théo Cottard à son père. Elle comprend qu’il s’est fait manipuler, se dit qu’elle n’a pas besoin d’en savoir davantage. Elle est aussi soulagée que l’adolescent n’ait pas parlé d’elle à son père, et ce soulagement lui fait comprendre qu’elle n’est pas vraiment fière de cette petite aventure qui les a pour un temps lié, qu’elle porte au fond d’elle-même le sentiment d’avoir abusé de sa persuasion et de ses expériences d’adulte pour faire découvrir à un jeune adolescent, dont, pour l’essentiel, la sexualité restait encore du domaine de l’attente, des jeux qui n’étaient pas vraiment de son âge ou du moins qui n’étaient encore, pour l’essentiel, que des possibles désincarnés. Que Théo, comme elle le supposait, ait, semblable sur ce point à la plupart des autres adolescents de son âge, commencé à imaginer, peut-être même s’excitant sur des revues, des sites internet ou des vidéos érotiques, ce que pouvait être une relation sexuelle ne relevait, avant elle que du fantasme, de quelque chose comme une imagerie virtuelle qui, au mieux, avait dû l’amener à la masturbation solitaire ou — elle n’osait l’imaginer — dans son groupe de pairs, car elle savait par expérience que l’imagination de la pénétration des corps, tant qu’elle n’avait pas été vécue avec l’intensité sensuelle qu’elle suppose, avec l’oubli total, bien que momentané, de soi dans l’autre, n’était qu’un ersatz d’expérience et que l’expérience définitive, celle qui pouvait totalement changer la trajectoire d’une vie, ne pouvait être acquise que par l’aliénation absolue que produisait sur l’être le long crescendo du désir s’épanouissant dans la conflagration subite d’un orgasme partagé. S’il ne parlait pas d’elle — et elle était maintenant rassurée sur ce point, il était temps qu’elle sorte de sa vie, lui laisse trouver seul son chemin dans le complexe labyrinthe de la sexualité où il était maintenant engagé.

Évelyne savait ce qui avait amené Théo à agir comme il avait agi. A elle de trouver une façon de rapporter ses propos à la Commissaire Albertine Mollet sans se compromettre, sans compromettre son jeune ex-amant. L’enquête désormais pouvait repartir sur d’autres bases, s’orienter vers la recherche des vrais responsables des incidents qui avaient amené à la situation présente. Bien sûr, il y avait la drogue : Théo avait acheté du haschish à un jeune homme qui avait tué un garde-chasse, mais c’était le seul crime où il était directement impliqué, n’ayant d’ailleurs joué qu’un rôle passif de témoin et rien ne permettait de prétendre que, s’il avait eu son accident, ce n’était pas parce qu’il se précipitait pour prévenir la police. Cette hypothèse en valait bien une autre.

Évelyne se dit qu’elle allait essayer de rassembler des éléments qui permettraient d’atténuer au maximum les responsabilités de Théo, mais qu’il fallait qu’elle le fasse discrètement pour ne pas laisser soupçonner leur relation. Peut-être pourrait-elle faire discrètement passer des informations, ou même des indices, ai docteur Jérôme Cottard.

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10 janvier 2011

Portrait astrologique du dit Gilbert de Clérences

Le trajet en taxi est un temps mort dans une récit plein de péripéties, de rebondissements de toutes sortes, de bifurcations, de trajectoires multiples, d’incidents, de coups de théâtre, de péripéties, de surprises, d’égarements, de dérèglements, d’errances, de divagations… bref d’aventures étranges, rocambolesques et capricieuses. Il est donc normalement inutile d’en parler et, dans toute bonne série qui se respecte, il y aurait là une de ses inévitables ellipses de temps qui servent à faire croire que la vie est plus dense que ce qu’elle est (ou à dissimuler, plus souvent qu’on ne le croie des erreurs de script, mais ça c’est une autre chose).

L’auteur ayant à cœur de ne pas jouer avec le sérieux de ses lecteurs qui sont en droit d’attendre de lui qu’il respecte la vérité et donc les règles élémentaires de la vraisemblance, se refuse — de temps en temps — à se laisser aller à ces facilités car il respecte totalement l’egrégore qui constitue le groupe de ses lecteurs. Rien n’étant inutile dans une histoire, surtout lorsqu’elle se construit autour d’une ou plusieurs énigmes que le lecteur ne peut appréhender que par les multiples indices semées discrètement — plus ou moins — ici et là, l’auteur va consacrer ce temps relativement mort à faire un portrait astrologique aussi complet que possible du logogriphe que constitue le personnage Gilbert de Clérences.

Gilbert de Clérences, de son vrai nom Zhu Shang, est né le 25 janvier 1966 à 0 heure pile, donc dans l’année du Cheval, sous le signe du Feu: «Zhu Shang est né sous le double signe de l'élégance et de la fougue. Sa personnalité attachante et son charme lui assurent une grande popularité. Étant lui-même fort sociable, il adore les soirées entre amis, les réceptions et autres activités mondaines qui lui donnent l'occasion de fréquenter ses semblables. Où qu'il soit, il n'est pas rare que Zhu Shang soit le boute-en-train de l'assemblée. Doté d'excellentes qualités de leadership, il se fait également apprécier par son honnêteté et ses manières franches. Cet orateur éloquent, versé dans l'art de la persuasion, n'aime rien de mieux qu'un bon débat. Son esprit vif et agile, de surcroît, lui permet d'assimiler les choses en un temps record. Zhu Shang, cependant, est aussi un être au caractère irascible et, bien que ses emportements soient passagers, il lui arrive de regretter ses propos. Ses centres d'intérêt sont multiples, tout comme les activités auxquelles il prend part. D'ailleurs, il ne sait parfois plus où donner de la tête tant elles sont nombreuses, et peut gaspiller ses énergies sur des projets qu'il n'a jamais le temps de compléter. Il a également tendance à être versatile, aussi ses objets de fascination sont-ils quelquefois de courte durée, se succédant au gré des modes. Une marge de liberté et d'indépendance lui est nécessaire. À vrai dire, il se trouve fort mal disposé à l'égard des règles et directives qu'on pourrait tenter de lui faire suivre; il préfère de loin n'avoir de comptes à rendre à personne. Malgré son côté rebelle, il aime se sentir entouré, encouragé et soutenu dans ses entreprises. Grâce à ses nombreux talents et à son caractère avenant, Zhu Shang peut aller loin dans la vie. C'est un amateur de défis, un travailleur méthodique et infatigable. Néanmoins, s'il s'avère que les événements jouent contre lui et que certains projets échouent, il lui faudra du temps pour se remettre d'aplomb et entamer un nouveau départ. Il ne vit que pour réussir; à ses yeux, échouer est un terrible camouflet.»

8 janvier 2011

Emma Gaillardon disparaît définitivement de cette histoire

Emma Gaillardon écoute en boucle « When You Find Your Prince » d’un de ses amis Jacques Mellencamp qui s’est lancé dans le rock avec un succès tout relatif et n’a pour l’instant réussi à publier qu’un single avec son groupe White Spirit. L’histoire de sa grand mère la préoccupe et la musique lui sert d’exutoire. C’est comme ça Baby, c’est la vie, elle ne parvient pas à se faire à l’idée que sa grand-mère qu’elle considérait comme une femme prude, pondérée et sage, ait pu être jeune comme elle, avoir plusieurs aventures amoureuses. A la lecture des lettres adressées à Ronald Cline, elle soupçonne même que les choses soient allées plus loin : il lui a semblé comprendre qu’elle a dû avoir un enfant qu’elle a abandonné à son anglais de père, mais rien de bien sûr. En tous cas, elle aimerait en savoir davantage mais les éléments nécessaires à faire une vraie enquête lui manquent. Elle ne sait pas comment s’y prendre.

La musique heavy métal est à fond, les distorsions lourdes et puissantes de la guitare emplissent sa chambre, son copain se risque même parfois à oser le sweeping et le tapping, mais on voit là qu’il n’est pas à la hauteur des meilleurs et ses riffs sont un peu poussif, mais - orages, bacchanales de sons, tempêtes - elle s’en fout, ça fait du bruit, ça hurle, sa chambre est comme une caisse de batterie que le beat fait vibrer lui vidant la tête, l’obligeant à oublier le monde où se heurte sa petite révolte adolescente.Tout est affaire de signes. Se noyer dans les accords poussifs mais violents, les grincements violemment inharmonieux et agressifs de la Rickenbacker de Jackie Mellencamp (nom d’artiste de son copain) lui permet d’imaginer qu’elle n’est pas comme les adultes qui l’entourent, qu’elle a une vie plus riche, plus dense, plus aiguë et le couteau de la musique s’enfonce dans sa chair.

Elle se sent totalement impuissante, désarmée et pourtant résistante, toute résistante, prête à affronter la vie d’une façon originale, sur une voie qui lui serait propre. Sa grand-mère lui a montré le chemin, il faut refuser les voies qui semblent toutes tracées, aller à l’aventure, prendre le risque d’être. Jackie s'étrangle sur «Joue ta vie / jette tes certitudes aux orties / Fuis ce monde pourri / Où on t’enferme pour la vie…» Ça hurle en elle, le beat tape dans son crâne, enfonce dans son cerveau toute la nécessité de fuir. Troubles. Tensions. Rancœurs… Ça ne peut pas durer comme ça. Décidé. C’est décidé, elle va tout laisser tomber, le bled pourri où elle vit, le lycée de merde où elle s’ennuie à mourir, sa famille trop rituelle, elle va partir… Les White Spirit ont décidé de se lancer dans l’aventure du rock, d’aller dans leur minibus vers la gloire et le fric : elle va les suivre. Elle va être rock, groupie ou chanteuse, sait pas, mais changer d’histoire, elle va vivre rock.

29 novembre 2010

Les missions de Théo

Théo parle. Flot confus de paroles. Par moments son père essaie de l’interrompre pour l’interroger, y voir un peu plus clair dans toutes ces histoires plus invraisemblables les unes que les autres. Théo s’est laissé prendre à un jeu qui, au début, l’a amusé: messages à retrouver dans des jeux de piste de plus en plus complexes, messages à transmettre sur le site web où il s’est inscrit, messages à déposer dans des boîtes aux lettres d’habitations de la région, messages à cacher dans des endroits invraisemblables — rochers de la forêt, arbres creux, fissure dans des murs, statues du parc du château, pare-brise de voitures, sièges de trains de banlieue, squats, maisons abandonnées, ruines, buissons…— peu à peu, tout lieu, tout espace, tout objet, devenait pour lui une cache possible, prenait une valeur autre s’intégrant dans un univers de mystère et de jeu transformant sa vie, le rendant prisonnier d’un univers virtuel où il ne savait plus ni ce qu’il faisait ni pourquoi, ni pour qui, il le faisait. Puis les messages se sont transformés en paquets qu’il lui était interdit d’ouvrir, qu’il devait déposer ici ou là sans ne jamais voir personne car il lui était interdit de tenter de découvrir celui, celle, ceux qui venaient par la suite en prendre livraison. Les messages — les objets…— qu’il transmettait arrivaient également chez lui de façon étrange : il les trouvait fixés au cadre de son vélo à la sortie du lycée, dans son blouson quitté au vestiaire de la salle de sport, dans son casier à la piscine… parfois même tout simplement par la poste, sur le site où les messages qui lui étaient destinés étaient signé Kitsi, son nom de code, ou par des mails apparemment anodins mais dont il ne pouvait être que le seul à comprendre la signification.

Peu à peu le jeu est devenu trop sérieux, Théo a décidé d’abandonner. Il ne voyait plus l’intérêt de se laisser ainsi manipuler comme une marionnette sans aucune vision globale de ses actes. Quelqu’un tirait des ficelles dont il ne voyait pas où elles menaient, il n’était qu’un pion et ça lui déplaisait. Il n’a pas obéi à un message, jetant à la poubelle une enveloppe qu’il avait à déposer dans un objet précis exposé à la salle des ventes. Le lendemain les pneus de son vélo étaient lacérés et il reçut un mail lui recommandant la lecture d’un roman interactif et génératif intitulé Trajectoires et dont lui était donnée l’adresse Internet. Lorsqu’il utilisa cette adresse, elle s’ouvrit sur la page suivante:

«Date : thurs 03 august … 08:00:00 + 0002
From : outis@niemand-online.pt
To : Kitsi@gatinais.com
Subject : je te retrouverai n'importe où.

Tes fautes vont être connues de tous, Kitsi, la fuite n'a jamais raison de la mort. Crains le vingt-quatre, hier est l'ombre de demain; je n'aurai pas pitié inutile de fuir. Le temps rattrape toujours ceux qu'il poursuit. Tu vas vivre dans une panique tenace: ta famille ne te sera d’aucun secours... Ça aura lieu! Ressentiment et aversion: les disparus ne cesseront jamais de t'accompagner! Hier est l'ombre de demain: rien ne s'efface.

Outis»

La menace était des plus claires.

3 novembre 2010

Ce que Jack Cline et la jeune chinoise disent

La fin du suspens est l’avenir du roman: Jake Cline est entré dans l’appartement de la jeune chinoise. Ils sont allés dans un salon quelconque d’un appartement quelconque: une table basse vaguement chinoise si l’on en juge par les pieds et la laque protégée par une plaque de verre, sur le mur de droite en entrant, trois kakémono portant des calligraphies et l’éternel paysage de montagnes, chinoises, dans une brume, chinoise elle-aussi, avec un arbre, chinois encore parce qu’il semble aussi peu naturel qu’un bonzaï. Mais c’est normal, c’est une peinture. Le mur de gauche porte cinq éventails déployés, inscriptions et fleurs, comme il se doit… Entre les deux une baie vitrée donnant sur le jardin de la cité. En ce moment, les fenêtres sont fermées et un climatiseur ronronne, tranquille. Devant le mur de gauche, un canapé de cuir noir. Il semble aussi inconfortable que tous les canapés de cuir noir, pourtant trois personnages y sont assis: une vieille dame, un vieil homme et, entre les deux, un adolescent, tous aussi chinois que possible. Du moins c’est ce que le lecteur doit imaginer. Jake Cline s’assied sur un espèce de pouf en face d’eux; la table basse les sépare. La jeune chinoise s’assied par terre sur un des côtes latéraux de la table. Ils parlent. Chinois. Si le lecteur comprend le chinois de la région de Canton, il excusera l’auteur de ne pas rapporter le texte original et d’avoir choisi la version française. Ce qu’il perdra en musicalité et poésie sera peut-être compensé par ce qui sera gagné en compréhension. Discussion, version française:

Jake (qui parle aussi chinois): Ça va ? La vieille dame (vois un peu haut perchée, grand sourire mais un peu souffreteux): ça va… enfin, on fait aller, ce n’est pas toujours facile… et toi ? Jake: moi, ça va, je me débrouille. Le vieil homme (sourire, regarde Jake dans les yeux): tu en es sûr ? Tu n’as pas de problème, Fleur de prune (c’est la traduction française du nom chinois de la jeune chinoise) nous a dit que la police était allé voir l’oncle Ho et qu’un policier en civil l’avait suivie jusqu’au parc. Jake (plissant les lèvres pour produire une mou étonnée): c’est possible, il y a eu un petit problème avec un jeune con qui n’a rien compris mais… c’est réglé… Vieux chinois, insistant: tu es sûr ? Jake: sûr… Vieux chinois (insistant encore comme peut insister un chinois, avec fermeté mais politesse): espérons-le parce que nous n’avons pas besoin que quelqu’un vienne se mêler de nos affaires, c’est trop dangereux. Jake: ne t’inquiète pas mon oncle, j’ai fait ce qu’il fallait… La vieille chinoise (ton très aimable, léger soupir): j’aimerais tant que ton père soit encore en vie, il serait fier de toi… et ta mère… Jake (songeur, un peu hésitant): j’aurais bien aimé les connaître aussi mais… ils ont disparu trop tôt… La jeune chinoise (qui jusque là n’a rien dite, voix fluette, un peu chantante): c’est vrai qu’on n’a jamais su ce qu’ils sont devenus ? Vieux chinois: on te l’a dit cent fois, ma sœur a épousé Ronald, ils ont eu un garçon. Un jour, Jake avait deux ans, ils sont venus à la maison, Ronald m’a dit qu’il avait des problèmes et qu’ils devaient se cacher quelques temps à l’étranger. Ils nous ont laissé Jake: nous ne les avons jamais revus et ils ne nous ont jamais donné aucune nouvelle. C’est pour ça que nous avons élevé ton cousin comme notre fils. Jeune chinoise (un peu excédée): ça, je le sais, mais j’ai toujours eu l’impression que vous cachiez quelque chose, qu’il y a des choses dont vous ne voulez par parler. La vieille chinoise (bienveillante, protectrice…): ne te mets pas ces idées en tête, nous ne savons rien de plus. Le vieux chinois, insistant: rien de plus, c’est vrai. Jake (ton ferme, assuré): il faudra quand même bien que je découvre ce qui s’est passé.

16 octobre 2010

Enquête de Rango, suite fin

La discussion au guichet n’en finit pas. rango est patient, Rango a le temps… mais quand même. Il abandonne, ressort à nouveau de la gare, se demande où il pourrait trouver des renseignements. Son voleur est tout de même remarquable, il doit bien y avoir quelqu’un qui l’aura vu, il ne peut pas passer inaperçu.

Une voiture s’arrête devant la gare, une audi quattro. Une portière s’ouvre. En descend une élégante jeune fille avec une valise. Elle laisse sa valise sur le trottoir, contourne la voiture pour aller embrasser le chauffeur. Rango entend : « bon voyage et surtout appelle-nous… » Rien de bien intéressant… Rango se dit que la vie est ainsi faite d’un immense désert de banalités d’où parfois, de loin en loin, émerge quelque chose de plus solide que le sable, un arbre, un rocher, un point de repère qui donne envie d’aller plus loin. Il entend le haut parleur de la gare qui annonce l’arrivée du prochain train, il regarde son ombre qui se projette sur le goudron chaud de la route, examine la petite place. Sur la gauche un vague hôtel brasserie. Il se dit que, avec un peu de chance, son iroquois est venu parfois boire là un café, une bière, une limonade, peut-être pour attendre son train en lisant un journal bien qu’il ne l’imagine pas en train de lire un journal. Ce genre de mec doit être à peu près inculte… De toutes façons il n’a pas grand chose à perdre. De toutes façons il a soif et un Perrier menthe ne pourra que lui faire du bien. Clopin clopant, marchant difficilement sur me plastique de fixation, il traverse la place, entre dans le café. Vide. Ou presque. Accoudé au comptoir devant un verre de vin rouge, un ouvrier en bleu de chauffe a le regard perdu dans un écran où galopent des chevaux de course. Le barman (le patron ?) accoudé en face de lui parcourt le journal local, une femme, âgée, l’air fatigué, gratte des jeux.

Rango s’assied à une table, déclare à voix haute : « un Perrier menthe ». Les clients ne le regardent pas. Le patron prépare la commande, vient vers lui, la dépose sur la table. Rango : « Je cherche un ami… » Le patron qui s’apprêtait à repartir vers le refuge de son comptoir s’arrête, le regarde, lève la tête en signe d’interrogation… Rango : « il est remarquable, il a les cheveux verts taillés comme une grande crête de coq ». Le patron : « Connais pas… mais il est venu ici hier… interrogatif : un mec assez jeune, un peu gringalet, un mètre soixante dix maximum… » « Oui, c’est ça, acquiesce Rango, vous l’avez vu ? » « Hier, il est venu de la gare, après le train de 14 h 28 qui vient de Paris, il a commandé un diabolo grenadine je crois puis il attendu le train de 14 h 45 qui va sur Paris… Je n’en sais pas plus » « Il est déjà venu avant ? » « Je ne crois pas, je l’avais jamais vu et il passe pas inaperçu… » « En effet… merci quand même… »

Rango se dit qu’il n’est pas doué pour les enquêtes de police. Hésite à retourner interroger le guichetier puis se dit, qu’après tout, l’incident ne vaut peut-être pas qu’il se donne tant de mal. N’est-il pas philosophe ? Et philosopher ne consiste-t-il pas à se convaincre en toute situation qu’un échec n’est pas vraiment un échec ?

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Une histoire sans fin
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