Rango se débrouille
Difficile de faire une vingtaine de kilomètres avec des
chaussures de cycliste. La professionnelle a bien proposé de rapprocher Rango
de chez lui dès qu’elle aurait fini sa journée mais outre qu’il ne se voyait
pas attendre quelques heures à contempler les ébats tarifiés, Rango ne tenait
pas à être vu en sa compagnie. La ville est petite, tout le monde connaît tout
le monde et des âmes bien intentionnées n’auraient pas tarder à faire
discrètement savoir à sa femme avec qui il avait été vu. Et avec cette histoire
stupide de clef USB, Rango ne tient pas à aggraver la situation, sa commissaire
de femme n’est pas des plus humoristiques. Elle n’aurait pas compris. Tout ce
qu’il a pu faire c’est de se déchausser, avancer à pied de quelques centaines
de mètres sur la route départementale puis faire de l’autostop. Sa tenue lui a
facilité les choses, une voiture — BMW noire, série 330, coupé, moteur
diesel à injection, quatre
cylindres en ligne — s’arrête. Le conducteur, style homme d’affaire
moderne, chemise blanche, col ouvert, petites lunettes fumées, sourire
éclatant : — Qu’est-ce qui vous arrive ? Rango : une histoire
stupide, je me suis arrêté pour pisser et on m’a fauché mon vélo… — Ça alors,
j’aurais jamais pensé qu’une chose pareille puisse arriver. Je suis cycliste
moi aussi et je ne me méfie jamais. C’était quoi comme vélo ? — Un cube
Agree GTC pro compact… — Pas mal comme bécane, moi j’ai un Scott Team Issue. Il
démarre. Et vous avez vu votre voleur ? De loin. Il semblait jeune, sa
silhouette était jeune, une coiffure bizarre, des cheveux rouges qui faisaient
comme une crête. — Facile à repérer donc. Il y a longtemps qu’il vous a
volé ? — Une demi-heure peut-être… — Inutile d’essayer de le rattraper. Je
vous aurais bien aidé mais j’ai un rendez-vous assez important. Vous allez
où ? — J’habite Fontainebleau. — C’est là où je vais, mais où plus
précisément ? — Près de la gare… — Ce n’est pas mon chemin mais je vais
vous y déposer, je ne peux pas vous laisser comme ça en pleine ville. — C’est
gentil ! — Entre cyclistes, si on ne s’aide pas, qui le fera ! Vous
faites souvent du vélo ? — Dès que je peux… — Moi aussi, mais je ne peux
pas souvent. Et… vous faites quelle distance ? — Ça dépend des jours, 100
– 150… — Pas mal ? Et votre moyenne ? — 32-35… — Vous êtes un peu
plus fort que moi. Vous êtes dans un club ? —Non, je n’aime pas les
groupes, je préfère partir en solitaire. — Avec un groupe c’est plus sûr !
— peut-être. La pseudo conversation continue ainsi. Ils arrivent près de la
gare de Moret-sur-Loing. Sur le bord de la route un vélo abandonné. — C’est mon
vélo, crie Rango ! Vous pouvez me laisser là ? — Bien sûr. L’homme
arrête la BMW, Rango court vers son vélo : — Oui, c’est bien le mien ;
Je vais rentrer en vélo, merci… — Pas de quoi. L’homme tend une carte : c’est
ma carte… Si vous avez envie que nous fassions ensemble une ballade un de ces
jours, n’hésitez pas ! — Pourquoi pas, ce serait avec plaisir ! —
Appelez-moi.
La BMW repart en trombe. Rango regarde la carte : Docteur Jérôme Cottard, psychanaliste,
la glisse dans la poche arrière de son maillot de cycliste, enfourche sa bécane
mais ne part pas. Il hésite : son voleur est certainement venu prendre le
train, il peut donc voir les horaires des derniers départs. Se renseigner. Il
attache son vélo à la grille de la gare.