Une autre lettre anonyme
Cottard ne s’est pas assis. Il hurle:
«il faut agir… et agir vite». Albertine Mollet s’efforce de le calmer «Calmez-vous… calmez-vous… expliquez-vous d’abord si vous voulez que
nous puissions faire quelque chose…» Cottard respire profondément,
ferme les yeux, les ouvre. Albertine lui montre un siège en face de son
bureau: «Asseyez-vous… asseyez-vous et expliquez moi». Cottard
s’assied, se replie sur lui-même prenant quelques secondes une position
vaguement fœtale. Puis il se déplie, regarde la commissaire, prend dans
la poste intérieure de sa veste une feuille de papier qu’il tend à
Albertine: «Voyez vous-même!» Il attend.
Albertine prend la
feuille, l’examine attentivement: une feuille de papier à lettre
classique sans filigrane, 21 x 29,7, blanche, un peu sale, un peu
froissée-défroissée, des cernes grisâtres montrent qu’elle est restée
un temps dans un lieu humide et sale, peut-être même qu’elle a été
mouillée. Des plissures révèlent qu’elle a été pliée en trois dans le
sens de la largeur, peut-être pour être glissée dans une enveloppe au
format allongé, dans le haut de la feuille quelques traces de gomme
laissent penser qu’elle a été détachée d’un bloc de papier à lettres?
Rien de remarquable.
Cottard s’impatiente: «Lisez, mais lisez
donc» Elle dit: «Je fais mon métier comme je l’entend» Il se tait,
soupire, appuie ses coudes sur ses genoux, prend sa tête dans ses
mains, ferme les yeux. Elle ouvre la feuille de papier, reconnaît
immédiatement le procédé des lettres anonymes précédentes, le message
est fait de mots découpés dans un journal quelconque et collées. Elle
pense : trouver le journal… Elle lit:
«Théo avait besoin d’une
leçon. Je la lui ai donnée. Cherchez au cœur de la forêt le centre de
l’hexagramme 63. Dans quelques jours il sera mort.» Le texte est signé
d’un mot composé de lettres de couleurs collées une à une: «ERYCHSISTON».
Albertine lève la tête, regarde le Docteur
Cottard. Il la regarde. Ses yeux sont suppliants. Ne sachant que dire,
elle examine à nouveau la lettre.