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Une histoire sans fin
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22 novembre 2006

Rêves d'aventures

Albertine commence sa journée en lenteur, comme si, dans la nuit, elle s’était débarrassée de sa conscience de femme, et devait se glisser dans un vêtement étranger à son corps. Son mari-philosophe-dilettante s’active à la cuisine où il prépare le petit déjeuner avant d’amener Kevin à l’école et Karcher chez sa noire nounou. Ce quart d’heure qui lui est accordé entre le sommeil et l’éveil est une bénédiction du jour: elle est dans son lit comme dans un bain à bulles, isolée du monde et de sa triviale réalité. Moment de rêve. Albertine rêve. Éveillée, Albertine rêve. Tous les matins qui lui sont ainsi donnés elle se construit, séquence à séquence, cuisinière mitonnant amoureusement un plat à cuisson lente, une vie d’aventure où elle, la super-commissaire Albertine Mollet est mêlée à des événements hors de l’ordinaire pouvant aller de la résolution d’une énigme des plus ardues à une arrestation in extremis du chef d’un réseau terroriste qui s’apprêtait à faire sauter une centrale atomique. Ainsi, elle sauve le monde…

Ça la change. Faut dire que ça la change… Entre son doux rêveur de mari incapable de se dégotter un travail un tant soit peu fixe et rémunérateur —sa dernière idée est un café-philosophie mais il n’a ni la moindre idée du café où cela pourrait se tenir ni du rôle qui pourrait y être le sien—, ses enfants en bas âge et la médiocrité de cette petite ville où un exhibitionniste passe pour un dangereux criminel, sa vie n’est pas des plus excitantes. Pour le moment elle est en train de questionner habilement un dangereux criminel soupçonné d’être l’assassin de plusieurs vieilles dames et de le mener où elle veut. Elle lui pose des questions anodines mais qui sont autant de pièges dans lequel l’individu ne se rend pas compte qu’il se fait prendre: —Vous avez une bien belle bague… (elle sait que plusieurs bagues ont disparu chez une des vieilles assassinées et, bien que celle que l’individu porte au médium de la main droite ne fasse pas partie du lot volé, elle va lui faire dire qu’il aime les bagues, puis qu’il s’y connaît en bijoux, puis où il a acheté la sienne, puis qu’il en a d’autres chez elle, lui demander de les voir, etc. Elle crée des zones de connivence qu’elle refermera sur son suspect lorsqu’elle estimera qu’elle possède assez d’éléments…). Elle le regarde dans les yeux pour sonder son âme, son instinct infaillible lui permettant, mieux qu’un détecteur de mensonges de déceler les failles de ses réponses les plus anodines.

— Chérie, le déjeuner est prêt.

Back to reality. Faut quand même qu’elle se lève. Le rêve explose comme une baudruche, elle reçoit le quotidien en pleine figure. Va maintenant falloir changer le cul du plus jeune (ce serait étonnant que le philosophe s’en soit occupé), retourner au commissariat, faire le point sur les PV, les tapages nocturnes, les plaintes à propos de tags, les demandes de la mairie, relever les points à supprimer sur les permis, lire les rapports… Pas d’assassin de vieilles dames, juste un anglais qui tombe connement de cheval dans la forêt d’Achères et, de ci de là, des voitures qui crament… Pas de quoi obtenir la médaille du congrès. La légion d’honneur, peut-être, en fin de carrière (plus que trente ans…) si elle continue à bien se comporter et bénéficie d’amitiés politiques. Tout ça ne tue pas le rêve mais ne le facilite pas non plus. Elle pose un pied sur le parquet de sa chambre: —J’arrive mon biquet!…

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