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Une histoire sans fin
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16 novembre 2006

Conversation mondaine

Ce jour-là, Madame Cottard a quelques unes de ses amies les plus proches à dîner: Rachel Swann, mère de la jeune pianiste, Françoise Persigny et Germaine Argencourt.

Marie-Gineste Cottard ne sait jamais d’une façon certaine de quel ton elle doit répondre à quelqu’un, si son interlocuteur veut rire ou est sérieux et, à tout hasard, elle ajoute à toutes ses expressions de physionomie l’offre d’un sourire conditionnel et provisoire dont la finesse expectante la disculperait du reproche de naïveté si le propos qu’on lui a tenu se trouve être facétieux. Mais comme pour faire face à l’hypothèse opposée, elle n’ose pas laisser ce sourire s’affirmer nettement sur son visage on y voit ainsi flotter perpétuellement une incertitude où se lit la question qu’elle n’ose jamais poser: «Dites-vous cela pour de bon?» Elle n’est pas plus assurée de la façon dont elle doit se comporter dans la rue, et même en général dans la vie… Aussi devant la question de Rachel: «Et ton mari, toujours à Chypre avec Théo?», elle se trouva comme d’habitude désemparée se demandant si ce n’était de la part de Rachel que question de pure forme, si elle manifestait un réel intérêt pour sa famille ou si elle savait plus de choses qu’elle ne voulait bien en dire, essayant par cette question apparemment anodine de tester ses réactions ou même d’en apprendre davantage. Magie — ainsi que l’appelaient ses intimes— est assise sur un siège suédois en sapin ciré qu’un amant de ce pays lui avait donné et qu’elle conserve, quoiqu’il rappelât la forme d’un escabeau et jurât avec les beaux meubles design qu’elle possède… mais elle tenait à garder en évidence les cadeaux que ses amis lui faisaient de temps à autre afin que les donateurs eussent plaisir de les reconnaître s’ils venaient.

De ce poste un peu élevé elle s’efforce d’animer la conversation de ses amies. Mais ne pouvant avouer qu’elle a envoyé son fils —dont elle s’était aperçu qu’il avait, avec ses frères, commencé à fumer du hashish; peut-être même à en cultiver dans un coin du jardin pour en commercer quelque peu— à Chypre avec son père suite à la plainte de son voisin et à la visite, qui lui avait paru si inquiétante, des policiers, elle ne peut donc que répondre quelque chose d’anodin et cependant de vraisemblable: «Il a beaucoup travaillé ces temps-ci et j’ai pensé qu’un petit séjour dans ma famille ne pouvait que lui faire du bien.» et comme Rachel questionne avec insistance: «Quand reviennent-il?», il lui faut prolonger son mensonge, et même imaginer un mensonge sur un premier mensonge, car, l’après-midi même, elle a téléphoné à son mari pour lui dire de laisser Théo encore quelques temps chez les siens à Larnaca, et ayant dû, pour cela, trouver un prétexte plausible lui a dit que cela faisait plaisir à ses parents et qu’un séjour un peu prolongé de Théo en terre massivement anglophone ne pouvait que lui faire du bien, son précepteur d’anglais trouvant son niveau un peu faible. Aussi répond-elle avec une aisance si affectée qu’elle en paraît aussitôt suspecte à son amie: «Edmond rentre après-demain mais Théo va rester un peu plus longtemps chez mes parents… Il a besoin d’améliorer son niveau d’anglais et puis, tu sais, quatorze ans est un âge difficile, je pense qu’être un peu coupé de nous ne peut que lui faire du bien…» «Quel heureux garçon!» se contente de dire Rachel qui brûle cependant d’essayer d’en savoir un peu davantage sur les raisons d’une telle décision qui, parce que son amie ne lui en avait jamais parlé auparavant, lui semble étrange et même quelque peu intrigante. Mais elle ne sait quel prétexte évoquer pour cela et se contente d’une approbation consensuelle: «C’est vrai que nos adolescents sont parfois difficiles!»

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