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Une histoire sans fin
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17 novembre 2006

Marc se fait son roman

Après réflexion, Marc Hodges décide que son roman sera «objectif». Il se refuse à prendre la position divine, celle de l’auteur qui voit tout, sait tout, enchaîne les événements dans une suite rationnelle; son roman sera décrit par un œil témoin externe, quelque chose comme une caméra de vidéosurveillance qui capte tout sans jamais rien interpréter Il reprend le début:

«Lumière 11 heures 30: paysage de carte postale, calme absolu, sous-bois lumineux, taches colorées de soleil sur le sol, stries de soleil hachant les feuilles, alternance ombre et lumière, jeux de découpe des feuillages, vibrations de l’air chaud allégé par l’humidité résiduelle du sous-bois. Cliché. Un homme apparaît dans le paysage vide de toute autre présence humaine, avance puis s’arrête. Regards sur le chemin qui traverse la forêt. Marcher. Le sol du chemin est sablonneux, presque sans herbes. Il marche encore un peu, la marche est facile. Il regarde autour de lui, s’approche des blocs de rochers. Clouée sur un arbre proche, un panneau indique «grotte d’Arnette». L’homme a lu le panneau, il ouvre son sac à dos, sort un sachet plastique où se lit «Confama», le déploie. Son de plastique défroissé… Il s’approche de l’entrée de l’abri qui fait signe et saillie dans le chaos de l’éboulis rocheux, fait mine de s’asseoir sur un tronc d’arbre tombé à l’entrée de la grotte —champignons, moisissures, bois attaqué par des vermines…— quelque chose l’arrête. Chien courant, il renifle, semble incommodé par une odeur désagréable. Quelque chose l’arrête. Il hésite, puis pénètre sous l’abri, remarque une forme oblongue allongée dans le coin le plus obscur, s’approche, porte sa main droite à son visage, se bouche le nez, se pense sur la forme. Un corps. Un cadavre. Il comprend que c’est un cadavre, reste quelques secondes immobiles comme s’il était paralysé. Le chant des oiseaux ne s’interrompt pas, les feuillages sont légèrement agités par une brise rafraîchissante, les ombres sur les roches jouent avec les lichens: formes étranges et mouvantes. Beauté de l’aléatoire, jeu de couleurs dans les gris et vert-gris. L’homme ne dit rien. Ne fait rien pendant quelques secondes, puis fait deux pas vers l’extérieur, s’arrête, revient en arrière d’un pas, s’arrête encore, regarde longuement autour de lui, s’attarde un peu, regarde encore puis sort résolument de la grotte, remet le sachet plastique dans son sac à dos, s’éloigne de la grotte, respire profondément, marche rapidement sur le sentier.

Une demi-heure plus tard… environ. Du temps a passé pendant lequel il a marché, il entre dans une gare sur laquelle est écrit Bois-le-Roi. Attend en faisant les cent pas sur le quai, ne parle à aucune des quelques personnes debout sur ce même quai. Il ne semble pas tenir en place, marche de long en large. Quand un train arrive en direction de Paris, il le prend, s’assied dans la partie supérieure du wagon, tient sa tête entre ses deux mains comme s’il était fatigué. Sonnerie d’annonce, souffle rauque des portes qui se ferment, le train part. L’homme ne semble pas s’intéresser au paysage.»

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