Rango pédale. Rango a pédalé. Bien. Il a même connu un moment de
grâce absolue lorsque sur une longue ligne droite entre Souppes-sur-Loing et
Dordives, il a battu sur une dizaine de kilomètres son propre record de
vitesse. Rango se sent en pleine forme, à sentir ses muscles fonctionner sans
peine, répondre à ses désirs, à se vider la tête de toute autre pensée que
celle de maîtriser son effort, d’éprouver son corps comme une mécanique bien
réglée, soumise à sa volonté, il éprouve une grande jouissance. Rango est
heureux. Rango voudrait être toujours dans cette plénitude physique. Rango est
un jouisseur. Sexe et vélo. Vélo et sexe. Il ne sait ni pourquoi ni comment
mais ces deux activités sont pour lui profondément complémentaire et s’il ne
jouit pas physiquement sur son vélo, les endorphines que produisent son cerveau
le mettent dans la même sensation de perfection qui lui permet de se dépasser
dans l’éffort. Rango pédale. Il a avalé les cinquante kilomètres en deux heures
cinq, plus de vingt cinq kilomètres à l’heure. Rango se sent invincible. Rango
se dit que dans ces conditions tout doit lui réussir. Il entre dans Montargis
par l’avenue du Général Leclerc, au rond point suit les panneaux routiers
indiquant « Gare SNCF », emprunte la rue Émile Mengin. Rango se
demande brièvement qui est Émile Mengin. Rango tourne à gauche dans l’avenue de
la gare. Rango va à la gare. Rango se demande comment commencer son enquête.
Rango descend de son vélo. Rango enchaîne son vélo à un
lampadaire. Rango pénètre dans le hall de la gare. Rango se demande q’il va
aller aux renseignements puis juge cette option stupide. Rango va au kiosque à
journaux. Rango interroge la vendeuse : — Bonjour, peut-être pouvez-vous
m’aider ? La vendeuse, jeune fille à blouse verdâtre (il ne voit pas ses
jambes) vaguement rousse, vaguement ronde, vaguement aimable, vaguement
ennuyée : — Ouais, ça dépend… — Je cherche un ami. Il a dû venir ici hier,
hier soir… — Hier soir, j’travaillais pas… — Il est peut-être venu d’autres
jours, il est facile à reconnaître, il est coiffé à l’iroquois et a les cheveux
verts… — a lirokois, ça veut dire quoi, ça ? Rango fait un geste comme
pour relever ses chevuex au sommet de son crâne : — Comme une grande crête
de coq, des cheveux verts tous raides au milieu du crâne. — Connais pas… Rango
n’insiste pas. Inutile : —Merci…
Rango s’en va, sort de la gare, se demande si ce qu’il fait là a
bien un sens. Après tout, il s’en fout de ce mec puisqu’il a récupéré son vélo.
Mais la vengeance ? Rango se dit qu’il aimerait quand même bien lui donner
une leçon. Rango a l’esprit justicier. C’est peut-être pour ça qu’il a épousé
un flic. Et puis… Puisqu’il est là, autant continuer. Rango regarde autour de
lui. Rango se demande qui il pourrait bien interroger. Les passants, trop aléatoire…
L’employé du guichet ? Pourquoi pas.
Rango rentre dans la gare. Rango se dirige vers le guichet. Devant lui deux personnes. La
première obtient rapidement son billet. La seconde apporte des billets qu’elle
veut faire rembourser. Le guichetier ne comprend pas. L’usager se lance dans
des explications confuses. Rango se dit que ça risque de durer un moment. Rango
n’est pas sûr d’avoir la patience d’attendre.
25 juillet 2010