Inventaire du passager du vol AF 1784
Le soi-disant Gilbert de Clérences s’installe dans la chambre 33
(où l’on apprend ainsi incidemment qu’il est superstitieux et réserve toujours
des chambres dont le numéro est symbolique, 33 est ainsi le nombre qu’il
préfère car résultat de la multiplication de 3 et de 11, l’argent et la
mort ; mais il peut aussi accepter tout aussi bien une combinaison de 8 et
de 9, mais jamais une chambre dont le numéro se termine par 0). Elle donne sur
la rue de Turbigo ce qui, en soi, n’a pas grande importance même si, comme le
lecteur a pu s’en apercevoir d’ici de là dans ce roman à intrigues, les détails
les plus insignifiants peuvent parfois jouer un grand rôle.
Comme à son habitude il se fait le plus discret possible
s’adressant aimablement au portier mais sans plus, ne s’attardant pas à lui
parler de la météo ou à lui demander des renseignements divers, traversant
rapidement le salon vieillot, montant rapidement — mais sans
précipitation — s’enfermer, au troisième, dans sa chambre où, avec sa
méticulosité habituelle, il s’installe.
Il examine d’abord les lieux. La chambre est assez petite :
un lit double, un bureau au plateau recouvert d’une plaque de verre, une
armoire à deux battants avec d’un côté trois tiroirs, de l’autre une penderie,
des murs beiges, une fenêtre assez grande donnant sur un petit balcon (il note
qu’il est assez facile de passer de son balcon à l’un de ceux des chambres
mitoyennes) et pouvant être obturée par des rideaux doubles, le plus proche de
la fenêtre en feutrine noire, le plus proche de l’intérieur dans un coton
imprimé en couleurs fades de motifs géométriques sans aucun intérêt. Une
minuscule salle de toilette, lavabo, douche avec une fenêtre assez petite mais
permettant toutefois le passage d’un homme donnant sur le puits d’une minuscule
cour intérieure. Des tuyauteries permettraient cependant la descente ou la
montée.
Ensuite il vide sa valise. Dans la penderie, il range ainsi un
costume Boss noir, un jean Diesel délavé, une paire de chaussures Greenstone.
Dans le premier tiroir : trois chemises Bexley, une Oxford bleu pâle à
rayures larges, une vermont pinpoint bleu à fines rayures, une vermont Oxford
gris soutenu. Dans le deuxième tiroir un pull camionneur cachemire zippé rouge
velours Armani et un pistolet automatique 9 mm Kimar PK4. Dans le troisième
tiroir une petite mallette en plastique noir sur laquelle on peut lire en
lettres rouges Grünig & Elmiger. Dans le tiroir du bureau, il dépose des
feuilles de papier à lettres, toutes à l’en tête d’hôtels différents :
Best western park hotel Siegen, Mercure Nogentel, Hôtel Laguna Zagreb, Hôtel
Turo de Vilana Barcelona, Hôtel Continental Venezia, Hôtel Cyprus Lefkosia,
Jolly Hotel Salerno, Windsor Hotel Excelsior Copacabana, Hyatt Regency Paris,
The lancaster Hotel London, Tiflis Palace Tbilisi, Hôtel villa Fontaine Tokyo, Kanazawa Excel Hotel avec leurs enveloppes correspondantes.
Ceci fait, il vérifie le fonctionnement du téléphone puis
compose un numéro.