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Une histoire sans fin
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21 juin 2009

Peter Peterson discute avec Norpois

Il fait beau. A peu près. Quelques nuages blanchâtres voilent par moment le soleil et le bleu hésitant du ciel. Guillaume Norpois, venu passer le week-end dans son manoir familial de Nonville, est installé à l’étroite terrasse du tabac des Halles. Il est avec Peter Peterson, ils laissent passer le temps, discutent avec nonchalance, ils n’ont pas d’autre projet, se contentent de regarder la foule des acheteurs du marché, de commenter leurs vêtements, leur apparence : — Pas mal cette femme ! — Hanches un peu larges à mon goût… — Peut-être mais quand même… — Vous voyez cet homme ? C’est le maire… — Votre maire ? — Non, je ne vote pas ici, le maire de Fontainebleau… il vient à la pêche aux voies, serrer des mains, sourire utile, se faire voir… — Un travail de maire… — Si on veut mais c’est tout ce qu’il sait faire. Le soleil réapparaît, moment de silence, ils ferment les yeux, laissent la chaleur solaire réveiller leurs visages puis… Peter Peterson, désignant un homme, la cinquantaine grisonnante, silhouette un peu lourde : — Lui, c’est Marc Hodges… — L’écrivain ? — Oui, l’écrivain. — Je ne comprendrai jamais que l’on puisse passer sa vie à écrire des histoires et à s’évertuer à publier des livres qui, au mieux seront lus par quelques dizaines de personne dans le futur, auront quelques milliers de lecteurs sur une période courte de temps ou, au pire, disparaîtront dans les poubelles des machines à déchiqueter. Il y a déjà trop de livres, la bibliothèque du manoir, une petite bibliothèque, contient un peu plus de vingt cinq mille titres. Enfant, je me promettais de les lire tous. J’ai vite compris que c’était impossible. Du coup je me suis désintéressé de la littérature, à quoi bon lire tel ou tel ouvrage puisque paraissent, chaque jour, plus de livres que je ne pourrai jamais en lire dans ma vie entière ? — N’exagérez-vous pas un peu ? Je vous ai déjà vu un livre dans les mains… — Oui, bien sûr, mais je n’y attache plus aucune importance, pur divertissement… — Bien que ce que vous dites soit juste, je ne suis pas tout à fait de votre avis… — C’es-à-dire ? Ï’aime comparer la littérature à un grand arbre, disons un des grands marronniers de votre parc dont les livres seraient les feuilles. Elles naissent, poussent, tombent puis sont, chaque saison remplacées par d’autres, mais c’est ainsi que ce marronnier a pu se développer autant. — Oui, mais ses feuillent disparaissent un jour ou l’autre. — Certes, les feuilles qui tombent disparaissent, mais elles constituent l’humus qui nourrit l’arbre, le terreau qui assure sa croissance. Chaque feuille, en soi, n’a pas une grande importance, c’est leur renouvellement qui importe à cet arbre. Sans elle l’arbre est malade et… meurt. — Mais il y a tant d’autres arbres… — Chaque arbre joue son rôle dans la forêt des arbres car chacun d’eux est le produit de tous ceux qui l’ont précédé. — Vous êtes bien lyrique aujourd’hui, mon cher. — J’essaie d’être juste. — Ainsi votre… Marc Hodges est indispensable à l’humanité ? — Comme vous, comme moi, de façon différente mais ni plus ni moins, ce qui importe c’est la vie, non les éléments qui à tel ou tel moment la font être. — Fichtre ! Je ne vous savais pas aussi philosophe. Ils se taisent un moment, face au soleil qui savoir avoir gagné une bataille puis, Norpois : —Au fond, vous êtes un nihiliste placide : rien n’importe, ni vous, ni moi, seul compte l’abstraction de l’être… — Croyez-vous sérieusement qu’il y ait d’autre but à la vie que la vie même ? — Au fond c’est désespérant… — Ne croyez-vous pas que ce soit aussi libérateur, conclut Peter Peterson en finissant sa tasse de café ? Norpois ne répond rien.

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