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Une histoire sans fin
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4 novembre 2007

Aéroport de Tunis

Sonneries : da da daaa… pou pou pouuuuuu… si ré sol, si ré fa dièse? sonnerie en mineur, annonces arabe, pour lui incompréhensibles, bruit de soufflerie. Peu à peu les sièges se remplissent : visages de toutes sortes, toutes origines. Jeunes, moins jeunes, vieux. Pas d’enfants Il pleut, l’air a une épaisseur de gélatine. Il pleut sur les pistes. Girophares orangés, voitures, camions, bus parcourant les pistes. Cuir grisâtre du ciel. Visages fermés dans la résignation de l’attente; chevelures de femmes, femmes voilées. Message, voix lointaines, confuse, débordante d’échos, voix de femme: «départ… départ… départ…». La pièce, octogonale, est une chambre d’écho où ricoche le moindre son : sac de bonbon défroissé, voix gargouillante  d’enfant, roulement de valises, journaux dépliés. Hormis le temps, dans sa lenteur moite, rien ne coule. Annonce en espagnol, français: «arrivée vol Air France vol…, arrivée Britsh Airways en provenance de Londres…» Il entend, n’écoute rien, regarde gauche droite, capte le regard noir profond d’un enfant (tunisien?), lui vole un sourire, observe le spectacle du monde comme s’il n’en faisait pas partie. Le temps l’englue dans sa moiteur poisseuse, son cerveau n’est que le réceptacle des multiples messages inutiles qui l’environnent: ne penser à rien. Pour l’instant il est là, ne pas se poser de question. La salle est presque pleine, le petit tunisien, cheveux très courts, très bruns, lui fait un autre sourire: «départ destination de Milan embarquement porte 48». Une fillette mange des bonbons en lisant un cahier à couverture rose. Un enfant — six, sept ans — blond-blé passe en chantant dans une langue qu’il ne connaît pas. Deux petites allemandes, l’une tresses, l’autre cheveux longs, viennent s’asseoir sur des sièges proches du sien. Des épaisseurs de voix densifient l’épaisseur de l’air, la salle s’emplit de sons, fragments de langues, «ein zwei…», «je préfère rester…» — rien ne l’intéresse, il ne prête pas l’oreille, subit seulement leur évidence —, pleurs de nourrissons, fatigue des mères, rumeur, l’atmosphère est une rumeur envahissante du monde, les sons s’agglutinent en une bulle qui gonfle, l’avale, insecte happé par la langue du caméléon. Impossible d’y échapper, il se sent devenir murmure, bruit, bourdonnement. Il sait que désormais il ne sera plus que bruit, que dans l’avion qui va le ramener à Paris — «dernier appel pour les passagers du vol Air France" — il sera pris dans lourd ronronnement des moteurs devenant partie intégrante de cette masse de fer qui va l’emporter. Il aurait tant voulu s’épargner ça. Impossible, il s’est trop engagé pour maintenant reculer, il doit revenir à Paris, participer à ce qui se passe en dehors de lui et risque de le compromettre: «l’embarquement du vol AF 1784 va commencer, sièges 29 à 59…». C’est parti…

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